Fermer Menu
Nouvelles

Bordeaux 2022 par appellation : Pomerol, une étude de la complexité

Dans un millésime complexe, voire hétérogène, Pomerol est, sinon hétérogène, du moins complexe - plus complexe peut-être que n'importe quelle autre grande appellation.

En effet, cette complexité est très proche de l'hétérogénéité pure et simple. Cela n'a rien d'étonnant si l'on considère les différents terroirs de Pomerol et les conditions climatiques et météorologiques auxquelles ils ont été exposés et à partir desquelles le millésime a été forgé.

Comme partout ailleurs en 2022, Pomerol a été chaud et sec - très chaud et très, très sec. Et si, surtout sur son célèbre plateau, il possède des sols argileux profonds qui résistent plutôt bien aux épisodes de stress hydrique les plus intenses et les plus prolongés, on ne peut pas en dire autant des sols graveleux et sablonneux qui retiennent beaucoup moins l'eau sur le bord du plateau et au-delà. Nous avons l'habitude de qualifier ces terroirs de "bien drainants", ce qui semble aujourd'hui presque un euphémisme. Cette qualité s'est souvent révélée être un avantage, mais pas cette année.

Il était difficile d'être une vigne sur de tels sols en 2022. En effet, même une courte promenade sur les plateaux les plus prisés dans la chaleur torride du mois d'août aurait révélé de nombreux signes visibles de stress hydrique, même dans les parcelles les plus célèbres - avec un feuillage flétri, tombant et, dans certains cas, même brûlé. Le stress est une bonne chose et on nous dit souvent que, jusqu'à présent du moins, le réchauffement climatique a été plutôt une bonne chose qu'une mauvaise chose dans les vignobles bordelais. Mais en 2022, à Pomerol au moins, on a frôlé l'excès.

Cela nous aide à expliquer la plus grande hétérogénéité ici que dans peut-être n'importe quelle autre des principales appellations de la rive droite ou de la rive gauche. Mais, comme toujours en 2022, les choses ne sont pas aussi simples qu'il y paraît. En effet, il ne s'agit pas seulement d'une histoire de "bons" sur le plateau et de "mauvais" hors du plateau. Pourquoi ? Parce que, comme nous l'avons déjà suggéré, les vignes de merlot sur les terroirs classiques d'argile profonde et de gravier du plateau ont également souffert.

Les dates de vendange ont été absolument cruciales ici comme dans toute l'appellation. La capacité à récolter dans la fraîcheur relative du petit matin (et donc la taille de l'équipe de vendangeurs), les longs bains de fraîcheur et le contrôle minutieux des températures de vinification plus basses que d'habitude, avec des remontages réduits, étaient tout aussi cruciaux. La retenue et l'extraction en douceur étaient les mots d'ordre, récompensant ceux qui possédaient les compétences techniques, les capacités techniques et le matériel de vinification coûteux. Lorsque la combinaison heureuse des trois n'était pas en place, les vins ont tendance à manquer de fraîcheur et d'acidité pour compenser les niveaux d'alcool élevés et peuvent même donner l'impression d'avoir du sucre résiduel. Leurs tanins sont typiquement robustes, rustiques et parfois secs et, pire encore, asséchants en fin de bouche (en particulier lorsque le taux d'alcool élevé a éliminé les tanins du bois brut des fûts de chêne neufs).

Ces démérites sont certes plus rares sur le plateau, mais on peut les trouver. A l'inverse, notamment sur des sols plus frais et autrefois moins fêtés du plateau et, surtout, avec plus qu'un peu de cabernet sauvignon dans l'assemblage - comme, par exemple, chez de Sales - on trouve des vins fabuleusement frais, moins alcoolisés, pleinement mûrs et merveilleusement expressifs de leur identité pomerolienne. Ici, les vins ressemblent un peu plus à 2020 qu'à n'importe quel autre millésime récent.

Pour aller plus loin dans les détails de ce millésime complexe de Pomerol, il est, comme toujours, intéressant d'examiner les données météorologiques - même si, comme Omri Ram de Lafleur semble l'avoir dit à tout le monde cette année, les chiffres eux-mêmes n'ont qu'une valeur limitée. Ce qu'il veut dire par là - et c'est un point très important - c'est que la même combinaison de chaleur et de sécheresse a produit des effets très différents selon les terroirs, et même sur le plateau lui-même. Mais il est toujours utile d'examiner ce que mère nature a demandé aux vignes de faire face.

 

Pre-budburst

(novembre-mars)

Véraison à la récolte

(août-octobre)

Total
Margaux 381 (-22.8%) 58.5 (-53.0%) 802 (-12.3%)
St Julien 364 (-25.0%) 61.3 (-47.7%) 780 (-12.2%)
Pauillac 364 (-25.0%) 61.3 (-47.7%) 780 (-12.2%)
St Estèphe 415 (-14.6%) 74.4 (-40.3%) 889 (-1.1%)
Pessac-Léognan 445 (-8.4%) 57.7 (-50.7%) 764 (-14.6%)
St Emilion 558 (+14.8%) 67.7 (-44.0%) 886 (-1.9%)
Pomerol 541 (+9.7%) 51.2 (-57.5%) 871 (-3.9%)

Tableau 1 : Pluviométrie pendant le millésime (mm, par rapport à la moyenne décennale)

Source: calculée à partir du rapport des Saturnalia sur les vendanges de Bordeaux 2022.

Le tableau 1 nous donne un premier élément de réponse en situant Pomerol dans un contexte comparatif en termes de pluviométrie à des périodes clés de l'année.

Ce qu'il montre, de manière très intéressante, c'est que, comme St Emilion et contrairement à toutes les principales appellations de la rive gauche, Pomerol a bénéficié de précipitations hivernales plutôt supérieures à la moyenne (même si la plupart d'entre elles sont arrivées à la fin de l'année 2021). Cela a eu pour effet de réapprovisionner la nappe phréatique, donnant aux vignes bien établies l'accès à l'eau dont elles auraient besoin pour supporter les conditions de sécheresse intenses et incessantes qui allaient survenir.

C'est cela, bien plus que les pluies diluviennes de juin (qui n'ont produit, en fait, que 30 millimètres de pluie à Lafleur), qui a "sauvé le millésime". Car à ce moment-là, comme l'explique encore Omri Ram, Pomerol était déjà en déficit de 300 millimètres par rapport à la moyenne annuelle des précipitations. Une simple pluie de 30 millimètres n'aurait jamais suffi à faire la différence.

Un deuxième élément est également important. Sur la rive gauche, les propriétés ont exploité l'effet paradoxalement bénéfique de la précocité des conditions de sécheresse. En l'absence de pluie en altitude, les vignes ont en effet cherché de l'eau sous la surface, se rationnant en développant dès le départ des houppiers plus petits. Cet effet s'est également manifesté sur la rive droite, mais dans une moindre mesure. Mais dans une moindre mesure. À Saint-Émilion et surtout à Pomerol, ce n'est qu'en mai et juin (selon l'analyse de Saturnalia) que les conditions de sécheresse se sont vraiment installées. L'effet du stress hydrique s'en est trouvé aggravé, car le choc pour la vigne a été plus important.

Cela nous amène aux rendements moyens des vignobles, indiqués depuis 2018 pour toutes les principales appellations de la rive gauche et de la rive droite dans le tableau 2.

2018 2019 2020 2021 2022 Moyenne sur 10 ans Par rapport à la moyenne décennale (% de variation)
Margaux 37.4 49.2 36.3 38.6 31.3 39.7 -21.2
St Julien 42.6 45.5 34.3 35.2 34.3 40.1 -14.5
Pauillac 38.5 46.7 37.4 35.1 34.8 39.7 -12.3
St Estèphe 44.6 49.7 41.2 40.7 31.5 43.4 -27.4
Pessac-Léognan 36.9 47.2 34.6 30.7 35.7 38.5 -7.3
St Emilion (GC) 39.7 43.0 36.7 27.5 41.2 37.2 +10.7
Pomerol 36.2 43.0 39.8 28.9 32.3 36.1 -10.5

Tableau 2 : Rendement moyen du vignoble par appellation (hl/ha)

Source: calcul à partir des données douanières compilées par le CIVB Service Economie et Etudes

Une fois de plus, la lecture de ce document est très instructive. Tout d'abord, ils montrent qu'en dépit des précipitations hivernales et printanières supérieures à la moyenne à Pomerol, et contrairement à Saint-Émilion, les rendements annuels moyens ont été presque aussi sévèrement touchés à Pomerol que dans le Médoc (qui a connu des conditions de sécheresse presque tout au long de l'année civile). En effet, les conditions de sécheresse estivale à Pomerol ont été brutales dans leur sévérité. Et c'est un facteur crucial pour comprendre l'hétérogénéité de ce millésime dans l'appellation.

Deuxièmement, en ce qui concerne les rendements eux-mêmes, la récolte de Pomerol a été plus faible que celle de toutes les autres appellations, à l'exception de Margaux et de Saint-Estèphe, et ce, précisément pour la même raison. Le rendement moyen final de Pomerol en 2022 est, en fait, flatté par la moyenne décennale qui est la plus basse de toutes les principales appellations (et qui a elle-même baissé de manière significative au cours de la dernière décennie).

C'est à la fois important et alarmant. En effet, elle suggère que si Pomerol a remarquablement bien survécu à cet épisode d'excès climatique, le plus récent, il semble à chaque fois plus enclin aux excès liés au changement climatique que n'importe laquelle des principales appellations bordelaises. Comme Pessac-Léognan, ses terroirs sont peut-être aussi moins bien adaptés pour y faire face.

Malgré tout, Pomerol 2022 est une histoire d'hétérogénéité ; ce n'est certainement pas une histoire de manque de qualité par rapport aux autres appellations principales. Les sommets sont extraordinairement élevés - y compris mon vin de tout le millésime - même si les creux sont peut-être un peu plus bas.

Le choix de la récolte

Commençons par le sommet. Le vin que j'ai choisi pour l'ensemble du millésime est un Petrus tout à fait captivant et éthéré. Ce n'est pas du tout le vin que j'avais imaginé et il m'est pratiquement impossible de comprendre comment un vin d'une telle élégance, d'une telle finesse, d'une telle retenue et d'une telle beauté pure a pu être produit dans ce millésime - surtout à partir de 100 % de merlot sur de l'argile bleue. C'est un triomphe de la vinification et, tout simplement, le meilleur vin que j'aie jamais goûté en primeur. Le déguster dans le chai de Petrus avec Olivier et Jean-Claude Berrouet et comprendre, ce faisant, la transmission intergénérationnelle de la sensibilité à ce terroir magistral qu'il représente est quelque chose que je chérirai toujours.

Mais Petrus est loin d'être la seule star potentielle de Pomerol en 2022. Le Pin et Lafleur ont également produit, selon moi, des vins d'une perfection potentielle, bien qu'ils aient une personnalité totalement différente. Lafleur est en fait le vin le plus difficile à lire de toutes mes dégustations en primeur. Il est resté obstinément fermé sur le plan aromatique, même après une heure dans le verre, laissant entrevoir subtilement une partie de ce qu'il choisira de nous révéler le moment venu. Mais sa texture est incroyable, défiant presque la gravité, et ses tanins sont d'une finesse remarquable.

Le Pin est beaucoup plus harmonieux et complet à ce stade naissant. C'est l'incarnation même du mot qui revient le plus souvent dans mes notes de dégustation pour décrire l'excellence du millésime : la grâce. Il est séduisant, subtil, fabuleusement frais, multidimensionnel, multicouche et d'une texture si soyeuse. Lui aussi est un hommage au Merlot.

La Conseillante, elle aussi, est tout à fait gracieuse et tout à fait fidèle à son identité dans les derniers millésimes. Il présente la plus belle floralité et, comme toujours, il semble être l'incarnation même du plateau de Pomerol. Je ne pense pas avoir goûté un plus beau millésime. Le Vieux Château Certan est lui aussi tout simplement joyeux, un miroir frais, calme et tranquille de fruits noirs frais les plus purs et les plus cristallins, tout à fait captivant.

L'Eglise Clinet est également extrêmement impressionnant - audacieux, articulé, étagé et, par-dessus tout, très bien structuré par des tanins à grain fin qui assureront sa longévité. Il n'y a pas de timidité ici et pourtant l'équilibre est parfaitement maîtrisé.

L'Evangile semble maintenant avoir redécouvert et affiné son style, produisant un Pomerol riche, large, plein, multi-couches et suprêmement séduisant, comme il l'a toujours été, mais avec plus d'élégance et de finesse qu'auparavant.

Il y a beaucoup d'autres étoiles dans le millésime, y compris les meilleurs résultats jamais obtenus par deux des étoiles montantes de l'appellation qui passent souvent inaperçues - le Guillot Clauzel de Guillaume Thienpont et le Porte Chic de Benoît Trocard.

Nénin, lui aussi, a façonné un vin en parfaite adéquation avec la qualité exceptionnelle de son terroir. Ces trois vins sont susceptibles de représenter un excellent rapport qualité-prix et sont vivement recommandés.

 

Faits marquants en 2022

Vin d'appellation :

  • Petrus (99-100)

C'est vraiment formidable :

  • Lafleur (98-100)
  • Le Pin (98-100)
  • La Conseillante (97-99)
  • Vieux Château Certan (97-99)
  • L'Eglise-Clinet (96-98+)
  • L'Evangile (96-98)
  • La Fleur-Pétrus (96-98)
  • Le Gay (96-98)
  • Les Pensées (96-98)
  • Trotanoy (96-98)
  • La Violette (96-98)

Le choix de la valeur :

  • Guillot Clauzel (95-97+)
  • Nénin (93-95)
  • Porte Chic (93-95)
  • De Sales (92-94+)

Pour des notes de dégustation complètes sur le Pomerol, voir ici.

Cliquez sur le lien pour accéder au rapport de db sur le millésime 2022 en primeur, ainsi qu'à des analyses appellation par appellation (liens mis à jour au fur et à mesure) sur Margaux, Saint-Julien, Pessac-Léognan et Graves rouge et blanc, Saint-Estèphe et Haut-Médoc, Pauillac, Pomerol, Saint-Émilion et Sauternes.

En savoir plus :

Bordeaux 2022 : une majesté miraculeuse (thedrinksbusiness.com)

Rapport sur le millésime 2022 à Bordeaux : Les questions en suspens (thedrinksbusiness.com)

Rapport sur le millésime 2022 à Bordeaux : Une majesté mystérieuse forgée par l'énigme de l'excès climatique (thedrinksbusiness.com)

Il semble que vous soyez en Asie, voulez-vous être redirigé vers l'édition de Drinks Business Asia ? Drinks Business Asia?

Oui, je vous invite à consulter l'édition Asie Non