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Bordeaux 2022 par appellation : St Estèphe, où la typicité des terroirs fait loi

Dans le troisième de mes profils d'appellation, je passe sur la rive gauche. J'ai l'habitude de commencer mes rapports sur le Médoc par le sud, avec Margaux, avant de remonter vers le nord. Mais cette année, avec quelques échantillons de Margaux tardifs encore à déguster, je commencerai par le nord avec St Estèphe avant de suivre la Gironde vers le sud.
Saint Estèphe, Gironde, France – 01 novembre 2017 : Château Cos d’Estournel dans le vignoble bordelais et les vignes en automne

La première chose à souligner est qu'il ne s'agit pas plus d'un millésime de la rive droite que d'un millésime de la rive gauche. On trouve des vins fabuleux des deux côtés de l'eau, même s'il existe des différences significatives dans la manière dont les défis météorologiques du millésime ont été relevés.

Le tableau 1 en donne une idée claire. Il montre que les appellations de la rive gauche ont reçu beaucoup moins de précipitations au cours des mois d'hiver précédant le débourrement, tout en subissant essentiellement les mêmes conditions de sécheresse intense entre la véraison et les vendanges.

 

Pre-budburst

(novembre-mars)

Véraison à la récolte

(août-octobre)

Total
Margaux 381 (-22.8%) 58.5 (-53.0%) 802 (-12.3%)
St Julien 364 (-25.0%) 61.3 (-47.7%) 780 (-12.2%)
Pauillac 364 (-25.0%) 61.3 (-47.7%) 780 (-12.2%)
St Estèphe 415 (-14.6%) 74.4 (-40.3%) 889 (-1.1%)
Pessac-Léognan 445 (-8.4%) 57.7 (-50.7%) 764 (-14.6%)
St Emilion 558 (+14.8%) 67.7 (-44.0%) 886 (-1.9%)
Pomerol 541 (+9.7%) 51.2 (-57.5%) 871 (-3.9%)

Tableau 1: Pluviométrie pendant le millésime (mm, par rapport à la moyenne décennale)

Source: calculée à partir du rapport des Saturnalia sur les vendanges de Bordeaux 2022.

Il n'est donc pas surprenant que, comme le montre le tableau 2, les rendements moyens des vignobles aient été très durement touchés dans l'ensemble du Médoc.

 

2018 2019 2020 2021 2022 Moyenne sur 10 ans Par rapport à la moyenne décennale (% de variation)
Margaux 37.4 49.2 36.3 38.6 31.3 39.7 -21.2
St Julien 42.6 45.5 34.3 35.2 34.3 40.1 -14.5
Pauillac 38.5 46.7 37.4 35.1 34.8 39.7 -12.3
St Estèphe 44.6 49.7 41.2 40.7 31.5 43.4 -27.4
Pessac-Léognan 36.9 47.2 34.6 30.7 35.7 38.5 -7.3
St Emilion (GC) 39.7 43.0 36.7 27.5 41.2 37.2 +10.7
Pomerol 36.2 43.0 39.8 28.9 32.3 36.1 -10.5

Tableau 2 : Rendement moyen du vignoble par appellation (hl/ha)

Source: calcul à partir des données douanières compilées par le CIVB Service Economie et Etudes

2022 a frôlé la catastrophe dans le Médoc plus que sur la rive droite. Il a été sauvé par une combinaison de facteurs : la reconstitution de la nappe phréatique lors du millésime 2021, comparativement humide, juste assez de pluie en hiver (surtout en décembre 2021) et la rapidité des quelques précipitations qui sont tombées pendant la période de croissance et de maturation (surtout en avril et en juin). En l'absence de l'un ou l'autre de ces facteurs, les choses se seraient passées très différemment.

L'apparition précoce des conditions de sécheresse a également été déterminante. Cela a encouragé les vignes à se rationner. Elles ont cherché très tôt de l'eau par le bas (plutôt que d'étendre leur système racinaire près de la surface) et ont construit des voûtes plus petites (limitant ainsi la transpiration). Il en est résulté une petite récolte de raisins minuscules mais très concentrés.

Le tableau 2 montre également des variations très importantes entre les appellations. Dans le Médoc, Pauillac et Saint-Julien s'en sortent mieux, tandis que Margaux et Saint-Estèphe s'en sortent plutôt moins bien.

À Saint-Estèphe, où les rendements des vignobles ont été inférieurs aux trois quarts de la moyenne décennale, cela est dû en grande partie à un facteur spécifique que nous n'avons pas encore pris en compte : les dégâts causés par la grêle. Un pic de température de trois jours à la mi-juin, culminant à 40°C dans toute la région le18 juin, a entraîné des épisodes de grêle sévères, bien que très localisés, le20 juin dans deux couloirs. Au nord, un orage à déplacement rapide a ravagé certaines parties du nord du Médoc, causant des dégâts importants dans certains vignobles de St Estèphe. Au sud, un second orage itinérant a touché le sud du Médoc (entre Macao et la ville de Bordeaux).

De nombreux vignobles ont beaucoup souffert, Phélan-Ségur par exemple a perdu près d'un tiers de sa récolte (surtout une grande partie de son cabernet sauvignon) à cause de la grêle.

 

Cela ne l'a pas empêché de produire sans doute le meilleur vin de son histoire. En effet, bien que les conditions météorologiques aient été difficiles tout au long de la saison de croissance et qu'elles aient posé de nombreux défis aux vignes, aucun d'entre eux ne s'est fait au détriment de la qualité.

Il s'agit donc d'un millésime St Estèphe très fort dans le contexte d'un millésime Médoc non moins fort. Ce qui me plaît particulièrement, c'est que ces vins, malgré la chaleur intense et les conditions de sécheresse incessantes tout au long de l'année, ont le goût de leur lieu d'origine. Pratiquement aucun des vins de l'appellation que j'ai dégustés n'aurait pu être confondu, à l'aveugle, avec un vin provenant de l'autre côté de la frontière de l'appellation, à Pauillac ou plus au sud.

C'est un triomphe. C'est un produit de l'évolution de la philosophie viticole de la région - le retour au terroir inauguré par le "nouveau classicisme" bordelais. Mais c'est aussi le résultat du caractère minuscule et très concentré des raisins qui ont dû chercher et tirer leur eau du sous-sol. Cela a simplement apporté plus de caractère minéral et d'identité aux vins, d'autant plus que le rapport entre la matière physique (peau et pépins) et le jus est élevé.

En bref, 2022 s'est avéré être un millésime de maximisation du terroir et je suis heureux de m'en réjouir. La typicité de l'appellation est élevée et les mots " très St Estèphe " ou leur équivalent sont apparus très souvent dans mes notes de dégustation (souvent griffonnées à la hâte). Ils apparaissent un peu moins dans les versions finales éditées qui figurent ci-dessous, mais le point reste le même.

En ce qui concerne la composition des mélanges, 2022 marque également un retour à la normale, aussi étrange que cela puisse paraître dans le contexte des excès météorologiques de la saison de croissance.

En 2021, comme le montre clairement le tableau 3, de nombreux vignobles ont réduit la proportion de leur merlot dans l'assemblage final, car une grande partie de ce vin n'était tout simplement pas mûr. Montrose a été l'exception.

En 2022, le Merlot est de retour.

Le vin % Merlot % Cabernet Sauvignon
2020 2021 2022 2020 2021 2022
Calon Ségur 12 7 24 78 81 70
Cos d'Estournel 38 30 37 62 64 61
Lafon Rochet 33 26 31 61 69 65
Montrose 23 31 25 71 62 66
Phélan-Ségur 42 21 56 54 75 40

Tableau 3 : Pourcentage de Merlot et de Cabernet Sauvignon dans le grand vin, 2020-22

Les meilleurs choix

Les vins qui en résultent sont fabuleux et très réguliers au plus haut niveau.

Le Montrose reste, pour moi, une classe à part - il dépasse désormais véritablement les premiers crus en termes de qualité soutenue, millésime après millésime. C'est une fois de plus le vin de l'appellation, la qualité de ses tanins le distinguant avant tout.

Mais Cos d'Estournel a également produit un vin glorieux, plein de charme, d'astuce et de personnalité et, par-dessus tout, débordant d'énergie, de fraîcheur et de dynamisme. Au cours des derniers millésimes, il semble s'être inventé un style nouveau et distinct, et ce vin est pour moi l'aboutissement de ce raffinement.

Le Calon-Ségur et le Phélan-Ségur sont tous deux des vins merveilleux dans ce millésime - ce dernier est de loin le meilleur vin que j'aie jamais goûté en primeur de la propriété. Son assemblage est, bien sûr, inhabituel. Mais s'il y a bien un millésime où l'on peut augmenter la proportion de merlot, c'est bien celui de 2022.

Lafon Rochet, lui aussi, semble avoir affiné son style avec ce millésime, atteignant un niveau d'élégance et de finesse que l'on n'avait peut-être précieusement atteint qu'en 2020.

De plus, le St Estèphe offre aujourd'hui un rapport qualité-prix fabuleux. Il est difficile de trouver dans le monde des vins capables d'égaler le rapport qualité-prix des vins suivants : Tronquoy, Meyney, de Pez, Lilian Ladouys et Le Crock. Une mention spéciale doit également être accordée à deux vins fabuleux : Dame de Montrose et Frank Phélan surtout.

Faits marquants en 2022

Vin d'appellation :

  • Montrose (97-99)

C'est vraiment formidable :

  • Cos d'Estournel (96-98)
  • Calon-Ségur (94-96)
  • Phélan-Ségur (94-96)

Le choix de la valeur :

  • Lafon Rochet (93-95)
  • Meyney (93-95)
  • De Pez (92-94+)
  • Tronquoy (92-94+)
  • Le Crock (92-94)
  • Lilian Ladouys (92-94)

Pour des notes de dégustation complètes, cliquez ici.

Cliquez sur le lien pour accéder aurapport de db sur le millésime 2022 en primeur, ainsi qu'à des analyses appellation par appellation (liens mis à jour au fur et à mesure) sur Margaux, Saint-Julien, Pessac-Léognan et Graves rouge et blanc, Saint-Estèphe et Haut-Médoc, Pauillac, Pomerol, Saint-Émilion et Sauternes.

En savoir plus :

Bordeaux 2022 : une majesté miraculeuse (thedrinksbusiness.com)

Rapport sur le millésime 2022 à Bordeaux : Les questions en suspens (thedrinksbusiness.com)

Rapport sur le millésime 2022 à Bordeaux : Une majesté mystérieuse forgée par l'énigme de l'excès climatique (thedrinksbusiness.com)

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