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Bordeaux 2022 par appellation : Saint-Émilion, "un excellent rapport qualité-prix".

Mon premier profil d'appellation concernait Pomerol où, selon moi, le millésime 2022 a frôlé l'hétérogénéité pure et simple, avec des sommets spectaculaires mais aussi des vins plus problématiques. On pourrait donc s'attendre à quelque chose de similaire à Saint-Émilion. En effet, traditionnellement, nous considérons que Saint-Émilion est hétérogène, même dans les plus grands millésimes, et à un degré que Pomerol n'a probablement pas.

Mais ce n'est pas vrai en 2022. On ne peut jamais acheter un Saint-Émilion les yeux fermés, surtout en primeur, et je ne dis pas que c'est le moment de commencer. Mais en fin de compte, il s'agit d'un millésime de Saint-Émilion où la probabilité de trouver une excellente valeur à n'importe quel prix est élevée - peut-être plus que dans n'importe quelle autre des principales appellations.

Et cela ne demande qu'un peu d'explications.

Nous pensons que Saint-Émilion a une tendance presque naturelle à l'hétérogénéité pour trois raisons avant tout : premièrement, sa taille ; deuxièmement, la gamme qualitative et la diversité de ses terroirs et, surtout, leurs capacités respectives à répondre aux conditions climatiques auxquelles ils sont confrontés ; et troisièmement, sa diversité stylistique.

Ces trois facteurs sont bien sûr présents en 2022. Que se passe-t-il alors ?

Commençons par l'évidence. L'étendue de l'appellation n'a pas changé (ou du moins pas de façon pertinente ici), pas plus que la capacité différentielle de ses différents terroirs à supporter les conditions météorologiques du millésime.

Mais cela nous amène directement à un premier point important. Car les conditions météorologiques n'étaient pas les mêmes à Saint-Émilion et à Pomerol. Ici, comme toujours, un peu de détail est utile.

Pre-budburst

(novembre-mars)

Véraison à la récolte

(août-octobre)

Total
Margaux 381 (-22.8%) 58.5 (-53.0%) 802 (-12.3%)
St Julien 364 (-25.0%) 61.3 (-47.7%) 780 (-12.2%)
Pauillac 364 (-25.0%) 61.3 (-47.7%) 780 (-12.2%)
St Estèphe 415 (-14.6%) 74.4 (-40.3%) 889 (-1.1%)
Pessac-Léognan 445 (-8.4%) 57.7 (-50.7%) 764 (-14.6%)
Saint-Émilion 558 (+14.8%) 67.7 (-44.0%) 886 (-1.9%)
Pomerol 541 (+9.7%) 51.2 (-57.5%) 871 (-3.9%)

Tableau 1 : Pluviométrie pendant le millésime (mm, par rapport à la moyenne décennale)

Source: calculée à partir du rapport des Saturnalia sur les vendanges de Bordeaux 2022.

 

Comme le montre très clairement le tableau 1, et à l'instar de Pomerol, Saint-Émilion a connu davantage de précipitations au cours des mois d'hiver que ses homologues de la rive gauche, avec une moyenne de 558 millimètres au cours des mois allant de novembre 2021 à mars 2022. Ce chiffre est à la fois supérieur à la moyenne décennale et le plus élevé des principales appellations. Elle a permis de recharger et de reconstituer la nappe phréatique. Lorsque les vignes ont cherché de l'eau plus tard dans l'année, celles dont le système racinaire était bien établi en ont trouvé. Ce facteur a été déterminant tant à Saint-Émilion qu'à Pomerol, mais de manière plus décisive dans le cas de Saint-Émilion.

Mais le tableau montre également que les conditions de sécheresse pendant la période de maturation (entre la véraison et la récolte elle-même) ont été moins intenses en moyenne à Saint-Émilion que dans toutes les principales appellations autres que Saint-Estèphe (si l'on se réfère aux précipitations totales). En effet, c'est Pomerol qui a le plus souffert (avec les précipitations totales les plus faibles sur la période, même exprimées en pourcentage de la moyenne décennale).

En bref, si les pluies hivernales ont sauvé le millésime à Pomerol, elles ont simplement permis à Saint-Émilion de mieux le supporter. Ce détail peut sembler anodin - une subtile différence d'accentuation - mais il s'avère très significatif dans le verre.

Il convient toutefois d'être prudent à cet égard. En effet, deux mises en garde s'imposent d'emblée. La première est que les moyennes au niveau de l'appellation peuvent être trompeuses, surtout pour une appellation de la taille de Saint-Émilion et surtout dans un millésime comme celui-ci.

S'il est vrai que Saint-Émilion a reçu plus de pluie, il s'avère qu'une grande partie de celle-ci est tombée sur les parties de l'appellation qui en avaient le moins besoin (où, en bref, le stress hydrique était faible). Et, par conséquent, d'autres parties de l'appellation - et pas seulement celles limitrophes de Pomerol - ont connu des conditions météorologiques non moins extrêmes que celles de l'autre côté de la frontière de l'appellation. Mais, franchement, peu de grands vins de l'appellation proviennent de l'étendue des vignobles moins profilés sur ces sols sablonneux ("bien drainants") qui bordent la rivière. Je réfléchirais à deux fois avant d'acheter de tels vins en primeur, certainement sans les avoir goûtés au préalable.

La deuxième mise en garde est que, même si les conditions météorologiques avaient été les mêmes, elles auraient eu un impact très différent sur les divers types de terroirs qui composent l'appellation. Alors que certaines parties de l'appellation ont subi un stress hydrique intense dans des conditions de sécheresse apparemment similaires, d'autres n'ont pas souffert.

Comme cela le suggère, les principaux vins de l'appellation - les grands crus classés de Saint-Émilion (actuels et anciens) - ont eu tendance à bien se comporter en 2022, et ce pour trois raisons. Tout d'abord, les défis météorologiques auxquels ils ont dû faire face ont été moins intenses que ceux auxquels ont été confrontés leurs pairs dans les autres principales appellations. Deuxièmement, les conditions météorologiques auxquelles ils ont dû faire face étaient généralement moins sévères que celles subies par leurs voisins sur des terroirs de moindre importance au sein de l'appellation. Troisièmement, et de manière plus positive, beaucoup de ces vins proviennent de terroirs qui sont presque parfaitement adaptés pour faire face aux défis d'un millésime comme celui-ci. C'est surtout le cas des terroirs argilo-calcaires ou purement calcaires des côtes et des plateaux. Pour ces vins, et aussi étrange que cela puisse paraître, il s'agit d'un millésime presque parfait sur le plan météorologique.

Un autre facteur est également important. Saint-Émilion est à l'avant-garde des changements dans la gestion des vignobles qui ont aidé les vignobles à s'adapter et à faire face au stress hydrique dans un contexte d'accélération du changement climatique. C'est en partie la conséquence d'un choix clair et conscient. Mais c'est aussi, et peut-être tout autant, la conséquence fortuite de l'habitude. Sur les sols argileux lourds, comme on nous l'a surtout expliqué à Angélus, les producteurs de Saint-Émilion ont toujours eu recours à la couverture végétale. Car sans cela, les tracteurs ne peuvent pas passer dans le vignoble quand il est mouillé !

L'effet de tout cela est très clairement démontré dans le tableau 2. Il compare les rendements moyens des grands crus de Saint-Émilion à ceux obtenus dans les autres grandes appellations.

 

2018 2019 2020 2021 2022 Moyenne sur 10 ans Par rapport à la moyenne décennale (% de variation)
Margaux 37.4 49.2 36.3 38.6 31.3 39.7 -21.2
St Julien 42.6 45.5 34.3 35.2 34.3 40.1 -14.5
Pauillac 38.5 46.7 37.4 35.1 34.8 39.7 -12.3
St Estèphe 44.6 49.7 41.2 40.7 31.5 43.4 -27.4
Pessac-Léognan 36.9 47.2 34.6 30.7 35.7 38.5 -7.3
Saint-Émilion (GC) 39.7 43.0 36.7 27.5 41.2 37.2 +10.7
Pomerol 36.2 43.0 39.8 28.9 32.3 36.1 -10.5

Tableau 2 : Rendement moyen du vignoble par appellation (hl/ha)

Source: calcul à partir des données douanières compilées par le CIVB Service Economie et Etudes

 

Il en ressort que, parmi les principales appellations, Saint-Émilion a non seulement atteint les rendements moyens les plus élevés, mais qu'elle est aussi la seule appellation où les rendements ont dépassé la moyenne décennale (assez proches de ceux atteints en 2019 et nettement supérieurs à ceux de 2020 et, bien sûr, de 2021).

Si l'on considère que les rendements des vignobles étaient souvent les plus élevés pour les grands crus sur les meilleurs terroirs et, exceptionnellement, à partir des plus vieilles vignes, on commence à comprendre pourquoi bon nombre des meilleurs vins du millésime proviennent d'ici.

Un troisième facteur contribue également à expliquer l'homogénéité peut-être surprenante des principaux vins de l'appellation dans ce millésime. C'est un facteur que j'ai également mentionné pour les années 2020 et 2021. Il s'agit d'une certaine convergence des conventions stylistiques entre les principaux crus.

Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet. Mais la façon la plus simple de le dire est peut-être de suggérer que, comme l'appellation Margaux sur la rive gauche, Saint-Émilion a été la plus influencée sur la rive droite par Parker - ou, plus précisément, par le style de vinification auquel il a été associé. Il en résulte une divergence stylistique entre les traditionalistes, d'une part, et les modernistes (et leurs cinquante nuances de parkerisme), d'autre part.

Il n'est donc pas surprenant que, tout comme Margaux, Saint-Émilion ait été le plus marqué par le recul de l'apogée Parker. Cette tendance se poursuit et se manifeste très clairement dans les meilleurs vins de l'appellation pour ce millésime. Ce sont des vins que j'ai déjà qualifiés d'expression d'un certain "nouveau classicisme".

Les vins eux-mêmes

Ce qui est intéressant, après toute cette analyse, c'est qu'en dehors de la qualité globale et de l'homogénéité des vins de tête, il y a relativement peu de surprises en ce qui concerne les vins individuels eux-mêmes.

Comme toujours, cependant, il existe de petites poches ou grappes d'excellence liées à la qualité pure et à la personnalité distincte d'un type de terroir particulier (encore éclairées par le "nouveau classicisme" lui-même). Permettez-moi d'en citer quatre.

Le premier est, bien sûr, le long de la frontière avec Pomerol. Ici, sans surprise, Cheval Blanc et Figeac brillent de tous leurs feux. Ce sont deux des plus grands vins de tout le millésime.

La seconde est la bande de plateau et de côtes calcaires qui commence à Beau-Séjour Bécot et se poursuit par Beauséjour Duffau-Lagarrosse, Clos St Martin, Berliquet, Canon et Bélair-Monange avant de descendre vers Calicem, Le Dôme et Angélus (avec maintenant l'inclusion de quelques parcelles de Merlot de Bellevue). Chacun de ces vins a sa propre personnalité (et bien qu'il y ait des similitudes, leurs terroirs sont loin d'être identiques), mais ils expriment tous la qualité suprême de ce "hot spot" de terroir exceptionnel.

Un troisième point chaud est en quelque sorte un secret d'initiés. S'il y a une partie de l'appellation, de nos jours, où l'on est presque assuré de quitter une dégustation avec le sourire, c'est bien celle-là. Il se trouve sur la partie presque la plus élevée de l'appellation, toujours sur le plateau et les côtes calcaires, cette fois autour de Saint-Christophe-des-Bardes. C'est là que nous découvrons, pour moi, quelques-unes des étoiles montantes de l'appellation, notamment le trio Laroque de David Suire, Rocheyron de Peter Sisseck et Axelle et Croix de Labrie de Pierre Courdurié. Chacun d'entre eux dépasse son niveau précédent dans ce millésime.

Enfin, je signale la Côte de Pavie elle-même. Il s'agit d'un point chaud au sens propre comme au sens figuré (en raison de sa célèbre exposition au sud), mais il a une fois de plus produit des vins fabuleux. Elle s'étend de Pavie à Bellefont-Belcier (un triomphe particulier dans ce millésime) en passant par Larcis Ducasse et, un peu plus loin, par Tertre Roteboeuf.

Il y a aussi d'autres étoiles. Comme toujours, il y a le brillant trio Troplong Mondot, La Mondotte et L'If (le plus beau millésime de ce vin jamais produit), chacun fabuleux dans le contexte du millésime. Je citerais également un Ausone absolument sublime, son proche frère La Clotte et, un peu plus bas sur la pente, La Gafferière.

Permettez-moi de terminer par une observation fascinante qui ne m'a frappé qu'au moment où je l'ai tapée. J'ai énuméré 24 étoiles du millésime 2022 dans les paragraphes précédents. Sur ces 24, 12 figurent dans la nouvelle classification des vins de Saint-Émilion qui entrera en vigueur avec ce millésime, mais 12 n'y figurent pas. Il y aurait beaucoup à écrire sur les implications de ce classement. Mais, pour l'instant du moins, permettez-moi de laisser cette idée en suspens.

Faits marquants en 2022

Meilleur de l'appellation :

  • Ausone (98-100)
  • Beauséjour Duffau-Lagarrosse (98-100)
  • Cheval Blanc (98-100)
  • Figeac (98-100)

C'est vraiment formidable :

  • Angélus (97-99)
  • L'If (97-99)
  • Rocheyron (97-99)
  • Clos Fourtet (96-98+)
  • Bélair-Monange (96-98)
  • Canon (96-96)
  • Clos St Martin (96-98)
  • La Clotte (96-98)
  • Croix de Labrie (96-98)
  • Laroque (96-98)
  • Pavie (96-98)
  • Tertre Rôteboeuf (96-98)
  • Trottevieille (96-98)
  • Troplong Mondot (96-98)

Le choix de la valeur :

  • Beau-Séjour Bécot (95-97+)
  • Bellefont Belcier (95-97+)
  • Berliquet (95-97+)
  • Calicem (94-96)
  • Grand-Corbin Despagne (94-96)
  • Dassault (93-95+)
  • Fonplégade (93-95+)
  • Couvent des Jacobins (93-95)
  • Fonroque (93-95)
  • Haut Simard (93-95)
  • Quinault L'Enclos (93-95)
  • Chauvin (92-94+)
  • Fleur de Lisse (92-94+)
  • Puyblanquet (92-94+)
  • Peymouton (92-94)

Pour des notes de dégustation complètes, cliquez ici.

Cliquez sur le lien pour accéder au rapport de db sur le millésime 2022 en primeur, ainsi qu'à des analyses appellation par appellation (liens mis à jour au fur et à mesure) sur Margaux, Saint-Julien, Pessac-Léognan et Graves rouge et blanc, Saint-Estèphe et Haut-Médoc, Pauillac, Pomerol, Saint-Émilion et Sauternes.

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